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Autopsie d'un récepteur
horaire inhabituel.
Ce récepteur constitue l'une des pièces les plus énigmatiques
de la collection. Il a été acheté en 2018 à un descendant en ligne
collatérale du constructeur. La mémoire familiale ne retient que peu
d'informations sinon que ce vieil oncle a consacré sa vie inventer, concevoir et
fabriquer divers objets techniques, sans qu'il soit précisément possible de démêler ce qui relevait
d'une entreprise commerciale de ce qui relevait du simple hobby. 2 seulement de
ces objets sont arrivés jusqu'a nous : Le poste dont je me suis porté
acquéreur et une locomotive jouet à vapeur vive qui demeure encore dans la
famille du constructeur (voir photo plus bas).
On est souvent très démuni pour faire l'histoire des
"petits constructeurs". Contrairement à la plupart, "J
Biron" a laissé des indices aux générations futures. Le poste est
signé "J. Biron, Nantes" sur la petite bobine, "TSF, J
Biron" sur le tesla, "Système J Biron, Nantes" sur le bandeau en
ivoirine situé en avant des commandes. Par ailleurs, les isolants des 2
condensateurs variables situés dans la porte sont réalisés avec des cartes de
visites ou l'on peut lire "J Biron, Constructeur Électricien, 14 rue
Dobree, Nantes". On peut difficilement mieux faire.
Il y a seulement quelques années, aller plus loin dans la
recherche aurait été très compliqué. Fort heureusement, la ville de Nantes
dispose d'un service d'archives numérisées très performant et J Biron a eu la
bonne idée de ne pas quitter Nantes de sa naissance à sa mort. Les registres
d'inhumations, d'état civil, de recensements et d'inscriptions sur les listes
électorales permettent de suivre en quelques clics son parcours, sinon la
réalité de ses activités.
Sur les 440 000 personnes figurant sur les registres
d'inhumation de la ville de Nantes antérieurs à 1960, il y a une bonne dizaine
de J.Biron" mais un seul candidat crédible : "Jules Pierre
Biron", Né le 18 novembre 1861 et décédé le 23 septembre 1934 au 2 rue
d'Alger, profession "électricien".
Jules Biron occupe 3 adresses successives entre 1890 et
1934, toutes situées dans le périmètre restreint des 5ème et 6ème
arrondissements de Nantes :
-Jusqu'en 1897/98 il est établi rue des Coulmiers/passage de
l'ascension. Il déclare la profession d'ajusteur et est célibataire.
-De 1898 jusqu'a une date comprise entre 1906 et 1909 il est
établi au 14 rue Dobree. Il déclare la profession d'ajusteur électricien en
1898 puis de patron électricien en 1906. Il est marié à Théophanie
Boileau.
-Il déménage au 2 rue d'Alger entre 1906 et 1909 et déclare
la profession d'ajusteur dans l'ensemble des registres suivants jusqu'en 1931.
Son épouse décède prématurément en 1920.
Il ne semble pas que Jules Biron ai laissé une descendance. Il
est inhumé avec sa femme au cimetière de la miséricorde de Nantes (le "Père
Lachaise" Nantais). La tombe n'est plus entretenue depuis longtemps mais il
s'agit d'un monument funéraire relativement luxueux qui n'est pas celui d'un
simple ouvrier.
Si l'on en croit sa carte de visite (antérieure à 1909), Jules
Biron était "constructeur électricien". Son activité
professionnelle ne consistait donc probablement pas à poser des lignes
électriques mais bien plutôt à fabriquer des objets, à la frontière de la
mécanique et de l'électricité. Au début du 20ème siècle, les constructeurs des premiers
récepteurs de TSF n'étaient pas encore clairement constitués en profession. E
Ducretet construisait des appareils de précision, G Pericaud construisait des
jouets électriques, A Gody était horloger, H Hurm prestidigitateur, F
Duroquier instituteur, Mildé électricien... . Jules Biron cumulait une somme de compétences qui
auraient pu le conduire à la radio électricité mais rien ne permet de conclure
en l'état que d'autres récepteurs Biron ont été effectivement fabriqués.
Oeuvre de maîtrise ayant vocation à rester unique, prototype demeuré sans
suite ou premier d'une (petite) série, une chose est sure, ce récepteur ne
peut simplement se satisfaire du qualificatif de "réalisation d'amateur".
Pour le moment on a renoncé à établir le schéma car de nombreux
éléments du câblage sont noyés sous une couche de vernis ou masqués par des
éléments que l'on risquerai de détériorer en les démontant.
Vue
d'ensemble
Le récepteur se présente dans un coffret de belle facture
assemblé en queues d'aronde. Il mesure 37x14x14 cm. L'extérieur est teinté noir et l'intérieur verni acajou.
Ce coffret s'ouvre par le dessus et l'avant.
A peu près rien n'est standard dans cet appareil. Si l'on excepte
quelques bornes et charnières, probablement achetées dans le commerce,
l'essentiel des pièces mécaniques est l'œuvre de Jules Biron, qui
disposait sans doute pour ce faire d'un atelier et d'outillage. Dans
tous les cas la finition est parfaite, très professionnelle.
Le récepteur présente 2 innovations remarquables qui seront
détaillées plus bas : un triple détecteur permutable, une bobine
d'accord "universelle", c'est à dire en mesure de fonctionner,
au choix, en Oudin ou en Tesla.
Par delà ces solutions techniques inédites, l'objet cumule de nombreuses
"préciosités", qui compliquent singulièrement le montage
mécanique :
- Jules Biron a renoncé aux curseurs qui équipent habituellement
les bobines Oudin et Tesla. De ce fait, les bobinages sont tous
pourvus de prises intermédiaires avec connections par plots. Le Tesla
comporte 20 prises et la petite bobine 10 prises.
- Les 2 CV à diélectriques solides sont logés dans l'épaisseur
de l'abattant avant, qui comporte un usinage en conséquence. Ils peuvent
être connectés ou déconnectés du circuit via des prises à 2
jacks. On a retrouvé dans l'appareil un câble muni des 2 cotés de ces mêmes
prises, possiblement destiné à relier les entrées quand il n'est pas
fait usage des CV.
- Les inverseurs sont des réalisations "maison". A noter
tout particulièrement l'inverseur Oudin/Tesla sur la gauche composé
d'une pièce d'ébonite sur laquelle sont enchâssés des plots en laiton.
- L'appareil est équipé d'un parafoudre en peigne (mise à la terre de
l'antenne en cas d'orage)
Dater cet appareil n'est pas un exercice facile. On date
habituellement l'invention
des détecteurs à cristaux à 1906 (Pickard aux USA). En France le grand précurseur est
Camille Tissot, qui présente ses premiers appareils à l'académie des
sciences fin 1908. Le marché de la TSF pour amateurs émerge timidement à
partir de 1910 à la suite de la mise en place du service des signaux horaires.
Cependant les dispositifs d'accord en Tesla à base de bobine d'antenne coulissante,
déjà utilisés aux États Unis depuis plusieurs années, ne se
développent réellement en France qu'a partir de 1912 (Duroquier,
Pericaud) pour disparaître ensuite rapidement des catalogues vers 1920. A
ce moment, la galène a déjà largement fait la preuve de sa
supériorité sur les autres types de détecteurs à cristaux. On peux
donc s'autoriser à penser que cet appareil a été fabriqué quelque part
entre 1912 et 1920, sans plus de précisions.
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Triple
détecteur permutable
Visuellement ce détecteur n'est pas sans rappeler le polycontact Horace
Hurm,
introduit en 1916, bien que le principe de fonctionnement soit très
différent. On trouve d'autres exemples de triples détecteurs dans les
productions étrangères contemporaines. C'est le cas du triple détecteur
rotatif Marconi en Grande Bretagne ou encore du détecteur de précision
Georg Seibt en
Allemagne. Ces dispositifs n'ont jamais vraiment fait école.
Le principe
est ici le suivant :
Trois lames
plates en acier formant ressort reposent sur 3 cristaux indéterminés
et de surface plane enchâssés dans une colonne en laiton. La pression
des 3 lames sur les cristaux est réglable par vis micrométriques.
L’ensemble
repose sur un socle circulaire en ébonite, usiné d'une seule pièce et
qui inclue le câblage.
Un pièce
coulissante rapportée sur la droite du socle permet de mettre en
service alternativement l’une ou l’autre des lames ou plusieurs à la
fois. Au total il y a 7 positions sélectionnables+ une
position de repos : D1, D2, D3, D1+D2, D1+D3, D2+D3, D1+D2+D3
(soit l’intégralité des configurations rendues possibles par la présence
de 3 points de contact fixes). La possibilité qui est laissée
d'introduire simultanément dans le circuit de détection plusieurs
contacts imparfaits mis en parallèle semble pour le moins étrange.
J'ai de gros doutes quant-au résultat, mais il faudrait tester.
Identifier le cristal utilisé supposerait de faire analyser la matière en
laboratoire. En présence d'un système à contact fixe, on peut déjà
penser qu'il ne s'agit pas de galène. On trouve ce type de contact sur
certains détecteurs à carborundum.
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Bobine
d'accord "Universelle".
Les récepteurs à cristaux primitifs français (à galène le plus
souvent) sont généralement pourvus d'un système d'accord en Oudin à 2
curseurs. Quelques uns disposent d'un couplage en Tesla et d'autres
beaucoup plus rares cumulent les 2 dispositifs. Dans ce dernier cas, le récepteur
est équipé de 3 bobines. L'une à 2 curseurs (Oudin), l'autre de type
"loose coupler" composée en fait d'une bobine d'antenne mobile
coulissant sur une bobine d'accord en vue d'établir un couplage
magnétique. On trouve un exemple de ce type "mixte" avec le
récepteur Pericaud modèle Tesla qui figure sur ce site à la page
Pericaud.
Le récepteur J Biron regroupe sur un même "loose
coupler" un système d'accord en Oudin et un Tesla accordé à
couplage variable. On est là sur un dispositif proche de celui
développé en 1914 par Franck Duroquier pour sa table d'accord
universelle "Vestale" (Voir : "Franck Duroquier et le
monde des amateurs de la TSF", Alain Bastier et Sylvain Melot,
Supplément au N°71 de Radiofil Magazine, 11/2015). Duroquier a eu la
bonne idée de placer la bobine secondaire ajustable par plots à l'intérieur
de la bobine d'accord, dégageant ainsi la place pour implanter 3 curseurs
sur cette dernière. Dans le cas du poste Biron, le secondaire coulisse
sur le primaire (comme sur le Pericaud Tesla) et le constructeur n'a alors pas d'autre choix que de
déporter le dispositif d'ajustement des 3 curseurs en établissant un
nombre conséquent de prises intermédiaires sur la bobine du primaire. Il
en résulte le "système J Biron", visible ci-dessus, dont on
imagine mal qu'il ai pu être reproduit en série tant la complexité de
fabrication est grande.
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Bobine
d'accord "Universelle" (suite)
90 plots en laiton de 2 mms sont alignés sur une planche d'ébonite
par séries de 30. 3 curseurs dont la fonction est identifiée par une
gravure sont guidés sur les plots par 3 tiges en laiton de fiable
épaisseur (1mm). Une échelle de 0 à 30 gravée dans l'ébonite vise à
faciliter la reproductibilité des réglages.
Les 30 prises intermédiaires de la bobine d'accord sortent de cette
dernière au niveau du flasque en ébonite de gauche puis passent sous le châssis.
En dessous les fils sont
collés dans un parfait alignement et repartent à angle droit vers les séries de plots. Avant l'ouvrir
l'appareil je m'attendais à trouver sous le châssis un vrai "sac de
nœuds" mais Jules Biron s'est sorti de la situation avec
professionnalisme. Pour ce faire, il a du fabriquer un guide fils dans une
planche d'ébonite que l'on aperçoit derrière les couches de
vernis. On trouve un dispositif de même inspiration sur la table
d'écoute "Système Rouzet" de 1913/14 présentée sur ce site
mais dans ce dernier cas la bobine est sous le châssis, ce qui rend la
situation plus simple.
Dernier point notable, la liaison entre les fils et les plots est
réalisée par soudure et non par vis et écrou comme c'est le cas sur la
plupart des radios françaises jusqu'en 1930. L'usage de la soudure dans
le câblage des TSF était courant aux États Unis depuis les origines
mais la plupart des radio-électriciens français étaient
notoirement incompétents dans ce domaine. Je ne compte plus les soudures
désastreuses que j'ai du refaire lors de mes restaurations d'appareils
des années 20, y compris des marques les plus prestigieuses. Les soudures
de Jules Biron sont parfaites, ce qui s'explique sans doute par la
polyvalence de ses compétences : électricité, mécanique et ajustage
... et probablement aussi chaudronnerie comme en atteste la
locomotive jouet présentée plus bas.
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Condensateur
variable J. Biron.
Les isolants sont réalisés avec des cartes de visite du
constructeur à l'adresse du 14 due Dobree à Nantes. On sait par les
registres que Jules Biron a quitté cette adresse à une date située
entre 1906 et 1909. Si on se reporte à l'histoire des détecteurs à
cristaux on peut considérer comme très improbable que ce poste ait été
fabriqué avant 1909. On doit en conclure que le constructeur a recyclé
d'ancienne cartes devenues obsolètes (c'est assez logique à une époque
ou la carte de visite était un produit coûteux).
Les feuilles d'aluminium sont malheureusement très
dégradées.
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La locomotive J. Biron
Cette locomotive jouet à vapeur vive porte une plaque en laiton
gravée "J Biron, Mécanicien, Nantes". On ignore sa taille
exacte. Il s'agit d'une reproduction relativement fidèle et détaillée
de la machine "système Buddicom" produite à Rouen pour les
chemins de fer de l'ouest en 1854-55. Ce type de machine était utilisé
en service régulier sur la ligne Nantes/Tours jusque dans les années
1870. Jules Biron était par conséquent probablement en mesure
d'approcher l'original. On trouve un modèle jouet très proche dans les
catalogues de la maison Radiguet vers 1890. Le constructeur assembleur de
cette machine jouet serait un certain Michaud ("Radiguet et fils, les
jouets scientifiques". F Marchand, ed Divinessence P93). Il est à
noter que Radiguet, comme J Biron, a fait quelques incursions dans le
domaine de la TSF. Certains postes horaires Pericaud portent une plaque
Radiguet et Massiot, certains postes Duroquier étaient fabriqués par
Radiguet... . Qu'une même personne ai pu construire à la fois des jouets
à vapeur et des TSF n'est donc pas incongru. Il y a au moins un autre
exemple. |
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